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Ce qui s’oppose à la fiction, ce n’est pas le réel, ce n’est pas la vérité, qui est toujours celle des maîtres ou des colonisateurs, c’est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu’elle donne au faux la puissance
qui en fait une mémoire, une légende, un monstre.
G. Deleuze 

La création d’un groupe exprime la tentative de sortir d’un état d’impuissance et de séparation par rapport à un problème ou une question qui importe pour ceux qui décident de s’associer (politique urbaine, avenir de l’agriculture, accès aux transports…) Autrement dit, « si l’association est une puissance, et crée de l’existence, alors les connexions qui emportent les êtres les placent dans un destin qu’à l’état séparé, ils ne possédaient pas » [1]. L’émergence d’un groupe correspond à une double « mise en indétermination » : de la situation sur laquelle il intervient et des modes d’existences de ceux qui y participent.

Ce qui change dans ces « modes d’existences » peut se dire « devenir capable ». Cette possibilité de transformation, si elle est bien souvent le fruit d’un hasard (celui de la rencontre), n’a cependant rien de spontané ou d’attribuable à la bonne volonté. Combien de groupes n’ont-ils pas précisément échoué de n’avoir su cultiver et protéger cette rencontre, de s’être trop reposés sur cette belle spontanéité et cette mystérieuse bonne volonté ? Combien de fois n’avons-nous entendu cette ritournelle : au début, c’était génial, nous apprenions à nous connaître, une énergie nous soudait les uns aux autres, et puis avec le temps… C’est qu’une expérimentation se construit et requiert de l’invention. La puissance d’un groupe dépend en effet en grande partie de la manière dont celui-ci va inventer les dispositifs et artifices qui vont, indissociablement, permettre à ceux qui y participent et au groupe lui-même de convoquer les forces en présence, de les activer et de les développer. Si la puissance du groupe est fonction du « devenir capable » de chacun, le « devenir capable » de chacun est l’affaire de tous ou, comme le dit Starhawk [2], le groupe est un « système » qu’il faut cultiver et protéger en tant que tel. Un lieu où, contre la psychologisation, se risque l’invention d’artifices rendant inséparables les développements respectifs de la puissance du groupe et de celle de ses membres.

[1Xavier Papaïs, “ Puissance de l’artifice ”, in “ Philosophie n°47, Ed. de Minuit, Paris, 1995.

[2Starhawk, “ Femmes, magie et politique ”, Ed. Empêcheurs de penser en rond, 2003. Voir également son site : www.starhawk.org.

[3Félix Guattari, “ Les trois écologies ”, Ed. Galilée, Paris, 1989, p. 22-24.

[4Anne Querrien, “ L’école mutuelle. Une pédagogie trop efficace ? ”, Ed. Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 2005.

[5Dragon est le nom que Starhawk attribue à ce rôle ; libre à chacun d’inventer ou de trouver le nom qu’il voudra…

[6Starhawk, op. cit., p.177-186.

[7I. Stengers et P. Pignarre, “ La sorcellerie capitaliste ”, Ed. La découverte, Paris, 2005, p.176

[8Starhawk, op. cit., p.169

[9On peut ainsi imaginer des formes de “compagnonnage“, où la personne reconnue comme la plus à l’aise et efficace dans le rôle de facilitateur apprend à transmettre à la personne qu’elle aurait en charge de parrainer ses savoirs-faire dans le domaine.

[10Starhawk, op. cit., p.176.

[11voir en annexe une liste non exhaustive de ce type de rôles tels que Starhawk les définit.

[12Il faut sans doute pour cela qu’un minimum de confiance et de connaissance mutuelles règne dans le groupe. L’exercice peut donc s’avérer un peu délicat pour un groupe naissant composé de gens qui ne se rencontraient pas forcément auparavant. N’attendez cependant pas trop longtemps…

[13Starhawk, op. cit., p. 192.

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