« La parole compte. » Cette maxime nous invite à prendre en considération, à faire attention à l’importance de ce qui est énoncé, dans la mesure où la parole fabrique nos devenirs et acte nos possibles. En ce sens, toutes les paroles ne se valent pas et parler ne va pas de soi. Mais elle « compte » également, littéralement, en tant que la durée de nos réunions est limitée. Il s’agit donc bien de résister à ces paroles sans frein et à leur enchaînement automatique.
Il est monnaie courante dans nos réunions que lorsque nous nous mettons à parler d’un sujet ou d’une situation, très vite, par un jeu de résonances entre des situations ou des idées, nous nous retrouvions embarqués dans un détour qui entraîne la discussion sur un nouvel objet.
Autrement dit, entre un début – par exemple le thème de la réunion – et le point où nous devons arriver – par exemple prendre une décision, – il semble que nous n’attachions pas beaucoup d’importance à ce qui se passe, à ce qui se vit dans l’entre-deux. Visiblement, ce qui compte est ailleurs. Il se peut aussi que nous ne disposions pas de l’équivalent de l’Eilm des nomades pour nos réunions. Mais alors comment fait-on pour que celles-ci ne se transforment pas en autant de déserts pour sédentaires ? Ou, plus positivement, de quels savoirs des signes avons-nous besoin pour voyager dans nos réunions sans trop nous y perdre ?
Soit une réunion portant sur la modification juridique d’une association et sur le renouvellement des membres de son conseil d’administration. Effectuer un détour sur l’histoire du rapport que l’association entretient avec cette question peut aider à clarifier le débat. Mais, en même temps, ce détour peut devenir le sujet central de la discussion, ce qui aura pour effet d’embarquer le groupe dans une situation qui aura plus à voir avec une généalogie des rapports juridiques construits par l’association au fil du temps qu’avec la question de départ. Tout est affaire d’opportunité et de temps : si ce détour s’avère riche, il peut être intéressant de le laisser filer, quitte à identifier collectivement que l’on s’engage dans un « long » détour et à se rappeler chemin faisant les raisons de ce détour en rapport avec ce qu’il s’agissait d’éclairer.
On se l’imagine, tous les « détours » ne se présentent pas avec une résonance aussi directe que dans cet exemple de la « généalogie ». Ils sont souvent plus rusés, plus volatiles, et prennent des formes différentes : tantôt ils provoquent de formidables rires ou de profondes attentions, tantôt ils épuisent et alourdissent l’agencement d’énonciations collectives ; tantôt encore ils éclairent la question par un tout autre abord, tantôt enfin ils dispersent le groupe dans de l’anecdotique.