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Problémer, c’est quoi ? Une espèce de fabrication de matériaux que l’on réalise dans les méandres de la pensée : entre les mots et les choses, entre les univers multiples des expériences et les manières dont on se les raconte, entre nos vies et les blessures qui s’impriment dans nos corps, entre tous ces signes qui peuplent nos sensibilités et le sens qui fractionne nos univers établis…

« Camarades, accordons-nous sur le problème ! » : voilà une proposition ambitieuse qui, à tout le moins, devrait avoir pour effet « […] d’ouvrir un horizon de sens, une nouvelle allure dans le questionnement, ouvrant une perspective inhabituelle sur le familier ou conférant de l’intérêt à des données jusque-là réputées insignifiantes » [1].

Cette façon d’envisager de « problémer » se différencie d’une pensée qui attache au mot « problème » une valeur négative. Elle se distingue des usages de ce mot tels que celui qui est marqué au fer de la conflictualité (« Eh, gars, c’est quoi ton problème ? ») ou bien apparenté à la perte stressante d’un trousseau de clefs, ou bien encore pris dans un sens plus indifférencié et plus banalisé, synonyme dans ce cas de « difficulté », « embrouille », « obstacle »…

Il s’agit également de distinguer « problémer » de « solutionner ». Certes, il existe entre ces termes une affinité mais leur nature est différente. L’un est affaire d’invention : on crée un problème, il n’existe pas tout fait. L’autre est plutôt affaire de découverte : il s’agit de chercher dans les possibles d’une situation les solutions aux problèmes posés. L’enjeu consiste à fabriquer les problèmes, à essayer de les poser, de les formuler au mieux et au plus loin de ce que l’on peut, de telle sorte que certaines solutions s’élimineront toutes seules et que d’autres solutions, bien qu’elles restent à découvrir, s’imposeront d’elles-mêmes. En d’autres termes, les solutions découvertes et finalement choisies seront à la hauteur de la manière dont on aura posé le problème.

Mais n’allons pas trop vite. Tentons dans un premier temps de donner chair à cette notion de « problémation ». Pour la rendre palpable, nous suivrons tout d’abord le fil d’une situation d’un collectif actif dans le champ de la mobilité et qui, dans le cadre d’une évaluation, essaie de poser l’un ou l’autre problème. Comme nous le verrons, les membres de ce groupe tomberont rapidement sur une question qui les laissera un peu dubitatifs : « Mais quel est au juste l’objet de notre groupe ? » Interrogation qui peut paraître à la fois simple et surprenante (comment un groupe peut-il ignorer l’objet qui motive son existence et son activité de groupe ?), mais question qui se complique quelque peu quand chacun donne une définition différente de cet objet [2].

[1F. Zourabichvili « Le vocabulaire de Deleuze », éd. Ellipses, Paris, 2003, p. 67

[2L’objet d’un groupe est la perspective quelque peu indéterminée qu’il se donne à atteindre. Dans un usage courant, on utilise également : les termes « sens » ou « finalité » d’un projet

[3Les phrases reprises sont extraites des transcriptions des séances de réunions ou des comptes-rendus de ce groupe.

[4Avant de formuler le problème de cette manière nous avons rencontrés à travers une situation appeler « la multiplication de nos champs d’intervention » un signe qui tourne autour de cette même question. Nous l’avions énoncé comme suit : « Plus on tente de préserver, de maintenir, de sauver sa pratique collective, plus elle tend à : s’individualiser (multiplication d’objets) ; se délier (perte du rapport entre les objets) ; se désaccorder (difficulté à s’accorder sur les objets à investir, communément ou au nom du groupe en tout cas) ; perdre sa capacité à intervenir sur le champ investi », in « Bruxelles, novembre 2003 ».

[5F.Imbert, « Pour une Praxis pédagogique » ; éd. Matrice, Vigneux, 1985, p.7

[6M. Benasayag, « Le Mythe de l’Individu », éd. « La Découverte », Paris, 1998

[7F. Zourabichvili, « Deleuze et la philosophie de l’événement »,éd. PUF, Paris, 1994, p.53

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