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Dix personnes se retrouvent autour d’une la table en vue de déblayer une question qui anime depuis quelque temps leur association : allons-nous présenter une demande de subsides ?

Le débat est tendu et produit des positions marquées, qui n’aident guère à élucider la question, à en saisir les enjeux. Il est enfermé dans des logiques de camps. Les uns, taxés d’idéalisme ou de moralisme, crient aux dangers de la récupération, de la compromission avec un État fonctionnant selon des règles et des objectifs déterminés ayant entre autres pour objet de réduire la contestation, soit par la violence, soit par l’achat financier des groupes dissidents. Les autres, qui se voient associés à une approche trop pragmatique, argumentent la nécessité de l’obtention de subsides pour régler des problèmes financiers, minimisant la force de ce pouvoir d’État et légitimant un recours aux subsides au nom de son caractère public notamment et de la pertinence sociale ou culturelle du travail de l’association.

Ces jeux de positions, crispés entre vérité et contre-vérité, ont pour effet de maintenir la logique de camps bien davantage que d’ouvrir le groupe à un questionnement complexe. Or, à lui seul, cet affrontement peut accaparer l’énergie collective et la coincer dans des tensions passionnelles capables de déforcer le groupe.

Pour éviter d’en arriver là, l’assemblée générale de l’association met en place un groupe préparatoire afin de déminer le terrain et de soumettre un texte à l’assemblée autour du questionnement suivant : « Quelles sont les lignes de force de ce pouvoir étrange que sont les logiques de subvention et comment pouvons-nous y résister, anticiper et conjurer leurs effets, sachant que, d’une manière ou d’une autre, elles vont affecter notre pratique ? »

[1Les financements directs ou indirects que l’État octroie aux entreprises commerciales sortent de notre champ de vision.

[2C’est à partir d’elle que les opposants à une entrée dans des pratiques de subvention trouvent un véritable vivier d’exemples utiles à la défense de leur cause. Et d’un certain point de vue, ils n’ont pas tort. La capture étatique ou, pour le dire plus prosaïquement, le mécanisme par lequel une association, qui hier encore “ gueulait contre le pouvoir ”, se fait “ acheter ” par ce dit “ pouvoir ”, est relativement vieux. Mais cette affirmation a beau être juste, elle n’apporte pas grand chose à la compréhension pratique des phénomènes. De plus, de manière trop rapide, elle généralise une idée et l’applique à l’ensemble des pratiques et elle tarit anticipativement la création et le mouvement d’une collectivité par rapport à la multiplicité de ses devenirs possibles.

[3Ce qui en soit ne manquera de charrier son paquet de difficultés : qui va choisir la ou les personnes engagées ? le seront-elles parmi les proches du projet, aux risques de mettre ceux-ci en concurrence, ou selon des critères parfois inédits pour le groupe : compétences techniques, parcours professionnel, valeur en terme de hauteur de subsidiation,… ? quelles nouvelles relations, avec quels effets, la professionnalisation va-t-elle produire par rapport au réseau de ceux qui restent bénévolement impliqués ? Quels changements cela va engendrer dans l’exercice de la fonction officielle d’administrateur ?

[4Former des « Citoyens Responsables Actifs et Critiques » : c’est ainsi que les textes officiels de reconnaissance en Education permanente (Communauté Française de Belgique) définissent les objectifs à atteindre sur les “ publics cibles ” de l’action.

[5Allusion au discours tenu par le Ministre de la Culture de la Communauté française de Belgique lors de la réforme du décret sur l’Education permanente en 2004, qui déclarait : « A l’occasion de cette réforme, nous devrons avoir le courage de couper les branches mortes. » Lire à ce propos : “ Des Tambours sur l’Oreille d’un Sourd”, les cahiers de la ré-éducation permanente. Auto-édition Bigoudi, 2006.

[6Selon M. Foucault (« Dits et Ecrits III, Gallimard, Paris, 1994, p.135), « …il n’existe pas à proprement parler une localisation du pouvoir dans un appareil d’Etat, où chaque institution (école, hôpital,…) ne serait que le relais de ce pouvoir central. Il s’agit plutôt de comprendre la forme Etat comme agrégation progressive d’un certain nombre de rapports de pouvoir. Et cette opération « d’étatisation continue » par exemple, de la justice, de l’enseignement ou des associations privées (du type entreprises ou syndicats) est très variable selon les cas. Pour le dire autrement, l’existence même de l’Etat suppose des rapports de pouvoir mais il n’en n’est pas la source. Il fixe, il actualise momentanément un régime de pouvoir. »

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