Le premier étonnement porte sur tous les signes qui ont surgi lors des deux dernières années de notre histoire et que nous n’avons pas su comprendre ou simplement pas su voir. Il y a eu d’abord Grez-Doiceau (3) en janvier 2002. Ce jour-là, nous étions une petite dizaine à nous réunir le temps d’un week-end, en vue « d’évaluer » les derniers mois d’activités du groupe et de tracer les grandes lignes pour l’avenir. La question de la fin du collectif s’y posait déjà explicitement, pour la première fois, mais le temps d’une journée seulement. Au bout du compte, la fin n’avait pas été prononcée et nous étions repartis au contraire avec une profusion de chantiers disparates à mettre en œuvre.
Pourtant, il s’était passé quelque chose de paradoxal lors de ce week-end au vert, entre un enthousiasme renouvelé pour certains et un vide pour d’autres, qui ne tarderaient pas à quitter silencieusement le navire. Voilà encore un signe. En fait de signe, il y en avait eu quelques-uns et ils prenaient chaque fois un visage différent : un mot, une douleur à l’estomac, un accident… D’une certaine façon, « le monde ne cesse de faire signe, à condition d’y être sensible »(4).
Ces signes nous entouraient. Certes nous les sentions, ils vivaient dans nos corps, mais il faut croire que nous étions trop le nez sur le guidon pour les voir. Et c’est là que tout se complique car la rencontre avec un signe s’effectue dans un mince défilé entre ce qui existe déjà et ce qui n’est pas encore advenu. Cette rencontre nous entraîne vers des chemins qui ne sont pas encore pensables, elle décale notre regard de « ce que l’on sait », de la façon de nous représenter une situation, un projet, un bout de vie. « Sortir de » pour « épouser un autre point de vue », tels sont les effets de cette rencontre avec un signe : « [celui-ci] ne renvoie pas seulement la pensée à son ignorance, mais l’oriente, l’entraîne, l’engage ; la pensée a bien un guide, mais un guide étrange, insaisissable et fugace, et qui toujours vient du dehors.(5) »
Commencer à épouser un autre point de vue sur ce qu’était devenu le CST passait pour nous par deux conditions : nous arrêter pour voir, entendre et sentir les signes et tenter de les épouser, de nous faire envelopper par eux ; et parallèlement, créer les conditions d’une disponibilité mentale et corporelle susceptible de nous amener dans un devenir mutant.
[2] G. Deleuze, Logique du sens, éd. de Minuit, 1969, p. 174.