Envisageons un dernier aspect de cette problématique, en nous intéressant à ce qui se passe en amont. La question porte ici sur le contexte dans lequel apparaît une demande de subside, l’état de composition du groupe : de quoi fait signe ce débat ?
Soit un groupe qui a deux ou trois ans. Les idées d’actions ou de projets s’y multiplient, chacune provoquant de nouvelles sollicitations en provenance de l’extérieur. Toutes semblent à première vue intéressantes et pertinentes. Cette dynamique en plein essor attire aussi de nouvelles personnes, qui ouvrent à chaque fois de nouvelles pistes. Rapidement, il apparaît que pour assurer tout cela, les locaux, le matériel, les liquidités viennent à manquer. Ce qui, par contre, n’apparaît pas avec autant d’évidence, c’est la dispersion du groupe sur une multitude d’objets, dans lesquels il est en train de se perdre, ne sachant plus à quoi et pourquoi il dit oui ou non, ni comment tous ces axes d’investissements s’articulent.
Dans un tel contexte, le projet a-t-il encore un sens commun ? Le groupe a-t-il encore la main sur sa propre économie, sur les besoins que sa dynamique génère ? Il semblerait souhaitable ici d’arrêter la machine et de se donner le temps de la questionner. Mais le groupe choisit de foncer et il interprète ses difficultés comme le résultat d’un simple manque de moyens. Il envisage alors la piste des subsides comme une issue possible.
De quoi fait signe cette histoire ? Émettons l’hypothèse suivante : au moment où le groupe se lance dans la recherche de subventions, il se trouve dans une situation de faiblesse interne. Par cette consolidation de moyens, il espère se renforcer, mais, ce faisant, il risque au mieux de n’arriver qu’à pérenniser sa situation de faiblesse, sans la questionner, ni la dépasser.
Ce cas de figure nous invite donc à nous demander : lorsqu’un groupe se lance dans cette nouvelle phase de son existence que va constituer le passage à la recherche de subventions, où en est-il, dans quelle composition subjective se trouve-il ?
En tout état de cause, on peut se dire que ce n’est pas tant la subsidiation qui permet à un groupe de gagner sa puissance que l’état de sa puissance, au moment où il s’embarque dans cette aventure, qui lui permettra d’éventuellement tirer de ce jeu des possibilités de renforcement.
>> Pour prolonger la question des effets performatifs du langage, voir Parler ; sur la dimension des rencontres et des relations entre deux corps, lire Puissance ; et sur le lien entre mouvement du groupe et désir, lire Assembler.
[1] Les financements directs ou indirects que l’État octroie aux entreprises commerciales sortent de notre champ de vision.
[2] C’est à partir d’elle que les opposants à une entrée dans des pratiques de subvention trouvent un véritable vivier d’exemples utiles à la défense de leur cause. Et d’un certain point de vue, ils n’ont pas tort. La capture étatique ou, pour le dire plus prosaïquement, le mécanisme par lequel une association, qui hier encore “ gueulait contre le pouvoir ”, se fait “ acheter ” par ce dit “ pouvoir ”, est relativement vieux. Mais cette affirmation a beau être juste, elle n’apporte pas grand chose à la compréhension pratique des phénomènes. De plus, de manière trop rapide, elle généralise une idée et l’applique à l’ensemble des pratiques et elle tarit anticipativement la création et le mouvement d’une collectivité par rapport à la multiplicité de ses devenirs possibles.
[3] Ce qui en soit ne manquera de charrier son paquet de difficultés : qui va choisir la ou les personnes engagées ? le seront-elles parmi les proches du projet, aux risques de mettre ceux-ci en concurrence, ou selon des critères parfois inédits pour le groupe : compétences techniques, parcours professionnel, valeur en terme de hauteur de subsidiation,… ? quelles nouvelles relations, avec quels effets, la professionnalisation va-t-elle produire par rapport au réseau de ceux qui restent bénévolement impliqués ? Quels changements cela va engendrer dans l’exercice de la fonction officielle d’administrateur ?
[4] Former des « Citoyens Responsables Actifs et Critiques » : c’est ainsi que les textes officiels de reconnaissance en Education permanente (Communauté Française de Belgique) définissent les objectifs à atteindre sur les “ publics cibles ” de l’action.
[5] Allusion au discours tenu par le Ministre de la Culture de la Communauté française de Belgique lors de la réforme du décret sur l’Education permanente en 2004, qui déclarait : « A l’occasion de cette réforme, nous devrons avoir le courage de couper les branches mortes. » Lire à ce propos : “ Des Tambours sur l’Oreille d’un Sourd”, les cahiers de la ré-éducation permanente. Auto-édition Bigoudi, 2006.
[6] Selon M. Foucault (« Dits et Ecrits III, Gallimard, Paris, 1994, p.135), « …il n’existe pas à proprement parler une localisation du pouvoir dans un appareil d’Etat, où chaque institution (école, hôpital,…) ne serait que le relais de ce pouvoir central. Il s’agit plutôt de comprendre la forme Etat comme agrégation progressive d’un certain nombre de rapports de pouvoir. Et cette opération « d’étatisation continue » par exemple, de la justice, de l’enseignement ou des associations privées (du type entreprises ou syndicats) est très variable selon les cas. Pour le dire autrement, l’existence même de l’Etat suppose des rapports de pouvoir mais il n’en n’est pas la source. Il fixe, il actualise momentanément un régime de pouvoir. »